Pêcheur mer île Rodrigues

Un monde à part

Pêcheur mer île Rodrigues

Un monde à part

Rodrigues est mauricienne, mais Rodrigues n’est pas Maurice. Depuis que les premiers Français s’y sont installés, les deux îles ont pris des chemins divergents. Si bien qu’aujourd’hui, malgré un air de famille et des liens fraternels, elles sont très loin d’offrir la même expérience, justifiant ainsi l’heure et demie d’avion qui permet de passer de l’une à l’autre.

On peut régulièrement lire ou entendre que Rodrigues ressemble à ce qu’était Maurice il y a cinquante ans. Dans un sens, c’est vrai. Le tourisme y est encore balbutiant. Celle que l'on surnomme la « cendrillon des Mascareignes » baigne ainsi dans cette humeur authentique, nature et sereine qu’ont pu connaître les rares voyageurs qui, dans les années soixante, pouvaient se permettre de traverser le monde pour passer quelques jours à Grand Baie. Mais là s’arrête la comparaison. Maurice et Rodrigues ont beau cohabiter au sein d’une même nation, partager la même origine volcanique et une histoire coloniale franco-britannique, elles ont toutes leur propre personnalité. C’était déjà le cas il y a un demi-siècle ; ça l’est toujours aujourd’hui.

Une autre histoire

Les deux îles Mascareignes entretiennent de franches différences. Une différence de taille, pour commencer : avec une superficie de 108 km2, Rodrigues est vingt fois plus petite que sa grande sœur. Ajoutez à cela un relief particulièrement tourmenté qui, malgré des terres fertiles, interdit les grandes plantations et vous comprendrez que les Français comme les Anglais n’ont jamais nourri pour leur cendrillon qu’un vague intérêt stratégique. Pour eux, ce « confetti » découvert en 1528 par Diogo Rodrigues, un navigateur portugais, n’était qu’une escale modeste sur la route des Indes, contrairement à Maurice dont ils ont fait une vaste usine sucrière. Or, comme vous le savez sans doute, l’économie décide de tout. Ici, comme ailleurs !

C’est bel et bien le sucre, plus que l’océan Indien, qui a séparé inexorablement les deux îles. Il les éloigne l'une de l'autre à partir de 1835, date de l'abolition de l'esclavage par les autorités britanniques. Maurice, en mal de main-d’œuvre pour ses champs de canne, se tourne aussitôt vers l'Inde d'où elle fait venir les coolies par milliers. Une vague migratoire qui passe au large de Rodrigues puisque celle-ci ne fait pas dans la mélasse. Ainsi, la petite île s'enlise dans une douce torpeur. Tant et si bien qu'en 1840, elle abrite cinq cents habitants à peine, des affranchis pour l'essentiel ; à la fin du siècle, ils sont à peine mille de plus. Il se creuse ainsi entre les deux sœurs un fossé culturel de plus en plus profond. Oubliée ou presque, la cadette, peuplée par la descendance des esclaves malgaches, conserve son âme africaine, alors que, de son côté, l'aînée se métisse à vive allure, développant notamment une « indianité » à fleur de peau. Une « dérive des continents » inexorable. 

Une terre ancrée dans ses héritages

Au premier abord, ce schisme n’a rien d’évident, mais il apparaît bien plus concret quand on verse dans la nuance. C’est ainsi que l’on découvre que Mauriciens et Rodriguais ne parlent pas le même langaz. Leurs créoles ont une racine commune : le français tel qu’on le pratiquait au XVIIe siècle. Mais quand, à Port-Louis, on l’a enrichi d’influences anglaises et hindies, à Port-Mathurin, capitale rodriguaise, on l’a conservé dans son jus. Un phénomène que l’on retrouve côté musique… Des deux côtés du pays, on chante le séga, mais certainement pas les mêmes airs. Le séga tambour des Rodriguais s’inscrit dans une tradition séculaire, héritée des côtes africaines.  Pour preuve, le bobre, un arc musical d’origine africaine, y tient toujours une place importante. Celui de Maurice, lui, n’a cessé d’évoluer, intégrant régulièrement au chant des esclaves, des rythmes et des instruments exotiques, empruntés à l’Occident, à l’Inde et jusqu’à la Jamaïque. In fine, il est moins traditionnel, mais plus faciles d'accès pour des oreilles occidentales.

Les destins contraires des deux îles ont fait que leurs cuisines, comme leurs ségas, ont évolué différemment. Certes, ne le nions pas, elles entretiennent encore plusieurs similitudes. Le goût des saveurs fortes, par exemple. Des deux côtés de l’océan, on relève pareillement son plat avec des pâtes de piment, des achards — des condiments faits de petits morceaux de légumes et de fruits macérés dans un mélange d’huile et d’épices — ou bien encore du rougaille, l’arrabbiata à la mode créole. Mais, pour l’essentiel, les repas ne se ressemblent pas. Forte de son multiculturalisme et de son dynamisme économique, Maurice a développé une gastronomie plurielle, important des ingrédients du monde entier — à commencer par les épices indiennes — et adoptant volontiers des recettes chinoises ou arabes. De leurs côtés, les foyers rodriguais, davantage repliés sur eux-mêmes, par nature tout autant que par nécessité, se contentent aujourd’hui encore d’une cuisine de subsistance. Celle-ci fait la part belle aux produits de saison, aux ingrédients locaux tirés de la terre comme de la mer, et aux méthodes de conservation ancestrales, tels le fumage des viandes et le séchage des poissons.

Les dames du lagon

La quintessence de la cuisine rodriguaise ? L’ourite, le poulpe de ce côté-ci du monde dont les locaux remplissent régulièrement leur marmite. Un mets féminin, puisque ce sont toujours des femmes qui le pêchent, le préparent et le cuisinent. À marée descendante, les ouritières — l’île en compte officiellement huit cents environ — marchent dans le lagon, armées de bâtons ou de barres de fer dont elles se servent pour fouiller les bancs d’algues et les récifs, et y débusquer ainsi les pieuvres qui ont cru pouvoir s’y abriter. Une fois leurs proies capturées, elles les achèvent sans scrupule en les fracassant sur un rocher. Cette agonie brutale a son avantage : elle attendrit la chair de l’animal !

Ourites pêche séchage île Rodrigues

L'ourite passe rarement par les réfrigérateurs. Elle se mange le jour même, en salade ou en fricassée, mariée au lait de coco et au gingembre. Mais le plus souvent, on la fait sécher. Après avoir vidé et rincé les bêtes à l’eau de mer, les pêcheuses les suspendent sur de grandes claies de bois avant de les abandonner au soleil pendant des heures, voire plusieurs jours. Le croquant des tentacules n’en est que meilleur et leur goût plus concentré et iodé quand, des semaines plus tard, on les fait longuement mijoter dans un cari ou un rougaille.

Vous prendrez bien un petit dessert ? Après l’ourite, goûtez donc à l’autre grande spécialité locale : la tourte rodriguaise. Les marins bretons en ont amené le principe sur l’île il y a des lustres ; les autochtones l’ont adapté à leur terroir, troquant le chou, la pomme de terre et le lard contre la cannelle, la papaye et la noix de coco. Pour quel résultat ? Honnêtement, au risque de froisser la susceptibilité des cuisinières armoricaines, on gagne au change !

Rodrigues est mauricienne, mais Rodrigues n’est pas Maurice. Depuis que les premiers Français s’y sont installés, les deux îles ont pris des chemins divergents. Si bien qu’aujourd’hui, malgré un air de famille et des liens fraternels, elles sont très loin d’offrir la même expérience, justifiant ainsi l’heure et demie d’avion qui permet de passer de l’une à l’autre.

On peut régulièrement lire ou entendre que Rodrigues ressemble à ce qu’était Maurice il y a cinquante ans. Dans un sens, c’est vrai. Le tourisme y est encore balbutiant. Celle que l'on surnomme la « cendrillon des Mascareignes » baigne ainsi dans cette humeur authentique, nature et sereine qu’ont pu connaître les rares voyageurs qui, dans les années soixante, pouvaient se permettre de traverser le monde pour passer quelques jours à Grand Baie. Mais là s’arrête la comparaison. Maurice et Rodrigues ont beau cohabiter au sein d’une même nation, partager la même origine volcanique et une histoire coloniale franco-britannique, elles ont toutes leur propre personnalité. C’était déjà le cas il y a un demi-siècle ; ça l’est toujours aujourd’hui.

Une autre histoire

Les deux îles Mascareignes entretiennent de franches différences. Une différence de taille, pour commencer : avec une superficie de 108 km2, Rodrigues est vingt fois plus petite que sa grande sœur. Ajoutez à cela un relief particulièrement tourmenté qui, malgré des terres fertiles, interdit les grandes plantations et vous comprendrez que les Français comme les Anglais n’ont jamais nourri pour leur cendrillon qu’un vague intérêt stratégique. Pour eux, ce « confetti » découvert en 1528 par Diogo Rodrigues, un navigateur portugais, n’était qu’une escale modeste sur la route des Indes, contrairement à Maurice dont ils ont fait une vaste usine sucrière. Or, comme vous le savez sans doute, l’économie décide de tout. Ici, comme ailleurs !

C’est bel et bien le sucre, plus que l’océan Indien, qui a séparé inexorablement les deux îles. Il les éloigne l'une de l'autre à partir de 1835, date de l'abolition de l'esclavage par les autorités britanniques. Maurice, en mal de main d’œuvre pour ses champs de canne, se tourne aussitôt vers l'Inde d'où elle fait venir les coolies par milliers. Une vague migratoire qui passe au large de Rodrigues puisque celle-ci ne fait pas dans la mélasse. Ainsi, la petite île s'enlise dans une douce torpeur. Tant et si bien qu'en 1840, elle abrite cinq cents habitants à peine, des affranchis pour l'essentiel ; à la fin du siècle, ils sont à peine mille de plus. Il se creuse ainsi entre les deux sœurs un fossé culturel de plus en plus profond. Oubliée ou presque, la cadette, peuplée par la descendance des esclaves malgaches, conserve son âme africaine, alors que, de son côté, l'aînée se métisse à vive allure, développant notamment une « indianité » à fleur de peau. Une « dérive des continents » inexorable.

Une terre ancrée
dans ses héritages

Au premier abord, ce schisme n’a rien d’évident, mais il apparaît bien plus concret quand on verse dans la nuance. C’est ainsi que l’on découvre que Mauriciens et Rodriguais ne parlent pas le même langaz. Leurs créoles ont une racine commune : le français tel qu’on le pratiquait au XVIIe siècle. Mais quand, à Port-Louis, on l’a enrichi d’influences anglaises et hindies, à Port-Mathurin, capitale rodriguaise, on l’a conservé dans son jus. Un phénomène que l’on retrouve côté musique… Des deux côtés du pays, on chante le séga, mais certainement pas les mêmes airs. Le séga tambour des Rodriguais s’inscrit dans une tradition séculaire, héritée des côtes africaines. Pour preuve, le bobre, un arc musical d’origine africaine, y tient toujours une place importante,Celui de Maurice, lui, n’a cessé d’évoluer, intégrant régulièrement au chant des esclaves, des rythmes et des instruments exotiques, empruntés à l’Occident, à l’Inde et jusqu’à la Jamaïque. In fine, il est moins traditionnel, mais plus facile d'accès pour des oreilles occidentales.

Les destins contraires des deux îles ont fait que leurs cuisines, comme leurs ségas, ont évolué différemment. Certes, ne le nions pas, elles entretiennent plusieurs similitudes. Le goût des saveurs fortes, par exemple. Des deux côtés de l’océan, on relève pareillement son plat avec des pâtes de piment, des achards — des condiments faits de petits morceaux de légumes et de fruits macérés dans un mélange d’huile et d’épices — ou bien encore du rougaille, l’arrabbiata à la mode créole. Mais, pour l’essentiel, les repas ne se ressemblent pas. Forts de son multiculturalisme et de son dynamisme économique, Maurice a développé une gastronomie plurielle, important des ingrédients du monde entier — à commencer par les épices indiennes — et adoptant volontiers des recettes chinoises ou arabes. De leurs côtés, les foyers rodriguais, davantage repliés sur eux-mêmes, par nature tout autant que par nécessité, se contentent aujourd’hui encore d’une cuisine de subsistance. Celle-ci fait la part belle aux produits de saison, aux ingrédients locaux, tirés de la terre comme de la mer, et aux méthodes de conservation ancestrales, tels le fumage des viandes et le séchage des poissons.

Les dames du lagon

La quintessence de la cuisine rodriguaise ? L’ourite, le poulpe de ce côté-ci du monde, dont les locaux remplissent régulièrement leur marmite. Un mets féminin, puisque ce sont toujours des femmes qui le pêchent, le préparent et le cuisinent. À marée descendante, les ouritières — l’île en compte officiellement huit cents environ — marchent dans le lagon, armées de bâtons ou de barres de fer dont elles se servent pour fouiller les bancs d’algues et les récifs, et y débusquer ainsi les pieuvres qui ont cru pouvoir s’y abriter. Une fois capturé leurs proies, elles les achèvent sans scrupule en les fracassant sur un rocher. Cette agonie brutale a son avantage : elle attendrit la chair de l’animal !

Ourites pêche séchage île Rodrigues

L'ourite passe rarement par les réfrigérateurs. Elle se mange le jour même, en salade ou en fricassée, mariée au lait de coco et au gingembre. Mais le plus souvent, on la fait sécher. Après avoir vidé et rincé les bêtes à l’eau de mer, les pêcheuses les suspendent sur de grandes claies de bois avant de les abandonner au soleil pendant des heures, voire plusieurs jours. Le croquant des tentacules n’en est que meilleur et leur goût plus concentré et iodé quand, des semaines plus tard, on les fait longuement mijoter dans un cari ou un rougaille.

Vous prendrez bien un petit dessert ? Après l’ourite, goûtez donc à l’autre grande spécialité locale : la tourte rodriguaise. Les marins bretons en ont amené le principe sur l’île il y a des lustres ; les autochtones l’ont adapté à leur terroir, troquant le chou, la pomme de terre et le lard contre la cannelle, la papaye et la noix de coco. Pour quel résultat ? Honnêtement, au risque de froisser la susceptibilité des cuisinières armoricaines, on gagne au change !

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