flamboyant île Maurice

L'enfer caché
du paradis

Les Néerlandais, les premiers, plantent à Maurice de la canne à sucre, venue de Java. Mais ce sont les Français, un siècle plus tard, qui, en construisant les premiers moulins à sucre, en font une ressource fort lucrative. Hélas, le bonheur de quelques-uns fait le malheur de bien d’autres ! En effet, pour cultiver leurs plantations, les colons ramènent des esclaves par milliers des côtes d’Afrique de l’Est ou de Madagascar. À la fin du XVIIIe siècle, l’île en compte 60 000. Dix fois plus que d'Européens.

Shocking! À leur prise de pouvoir, en 1810, les Anglais condamnent les viles pratiques des froggies et promettent aussitôt l’abolition. Une belle intention qu’ils mettent tout de même vingt-cinq ans à concrétiser. L’île Maurice n’en a pas fini pour autant avec l’exploitation de l’homme par l’homme. C’est que les planteurs, anticipant la perte de leurs esclaves, ont une riche idée : la mise en place d’une migration de masse depuis l’Inde. Ils engagent des ouvriers agricoles pour cinq ans, avec la promesse d’un retour au pays au terme de leur contrat. Comme ces pauvres bougres sont censés être volontaires, on parle d'engagisme.

Le mouvement démarre modestement avec l’arrivée d’un premier bateau, le 2 novembre 1834. À son bord, trente-neuf coolies. Mais le flux augmente vite. Appâtés par des recruteurs sans scrupules qui leur décrivent une île de rêve où « il suffit de retourner les pierres pour trouver de l’or », les manœuvres embarquent par milliers à Calcutta. Ils sont 39 000 à tenter leur chance durant la seule année 1843. Au total, en quatre-vingts ans de pratique, Maurice accueille plus de 450 000 engagés. Et tous ou presque vivent l’enfer !

Les huit semaines de traversée en fond de cale engendrent une mortalité comparable à celle de la traite négrière. C'est encore pire sur la terre ferme. La paie est maigre, du moins quand elle est versée : cinq roupies par mois quand un simple apprenti mauricien en touche trois de plus. Les conditions de vie sont épouvantables, proches de celles des anciens esclaves. Contraints de rester sur leur plantation sous peine d’être emprisonnés pour vagabondage, les engagés sont mal nourris et logés dans des dortoirs qui, de l'avis même d'un visiteur britannique, « ressemblent à des cellules de prison ». Démunis face aux épidémies de dysenterie ou de variole, ils subissent en outre de mauvais traitements comme le fouet qui claque régulièrement. Ainsi, même si le sort des travailleurs indiens s'est un peu amélioré à partir des années 1860, l'engagisme qui a perduré jusqu'en 1920, garde encore, au pays du sucre, un goût des plus amers.